DÉCOLONISER LES POLITIQUES DE JEUNESSE
DÉCOLONISER LES POLITIQUES DE JEUNESSE

DÉCOLONISER LES POLITIQUES DE JEUNESSE

Décoloniser les politiques de jeunesse

Par Christophe Moreau, sociologue

Un constat m’anime après plus de deux décennies d’études et de recherches sur les comportements des jeunes et les politiques de jeunesse : la jeunesse est plus parlée qu’elle ne parle elle-même. Pourtant elle a des choses à nous dire… on voit émerger des préoccupations fortes parmi les jeunes générations : selon des enquêtes réalisées pour le réseau information jeunesse, environ un quart des jeunes se préoccupent de solidarité, d’égalité femmes-hommes, d’environnement, de vie locale, d’économie sociale et solidaire…

Ces générations seront confrontées à des mutations majeures de notre société et de notre planète, et sont en première ligne pour contri­buer aux transitions qui nous font face : transition écolo­gique, expansion du numé­rique et de l’IA, mutations sociales et démocratiques…

Pour autant, à travers un petit détour par différentes poli­tiques de soutien à la parti­cipation citoyenne, on peut constater que les générations les mieux installées restent sourdes à ce que les jeunes essaient de nous dire :

Réparer les difficultés d’affiliation sociale : une première approche se centre sur l’individu responsable de lui-même, entrepreneur de sa vie, dont la qualité de citoyen se mesure à sa capacité d’être actif et de conduire sa vie de façon autonome. On privilé­gie ici l’accès aux droits, les compétences sociales et émo­tionnelles et l’employabilité pour aider les jeunes à sortir de leur état de dépendance (aux parents, aux services d’insertion, etc.) : actions de formation, d’accompagne­ment, de mise en situation sociales et professionnelles, de lutte contre les discrimi­nations, etc. Parmi les inno­vations intéressantes, on peut mentionner le développement de l’aller vers, le soutien à la mobilité internationale, les liens vers le monde écono­mique, la reconnaissance des compétences non formelles…

Soutenir l’engagement coopératif : cette seconde approche renvoie au collectif et à l’organisation concrète de la vie locale, dans une visée de cohésion sociale, par la coopération et les solidarités de proximité. L’engagement et la partici­pation se définissent comme contributions des individus à la cohésion sociale, à tra­vers l’engagement associatif, la contribution à des actions de développement local ou territorial : on mentionnera ici le soutien aux – juniors – associations, les chantiers collectifs, les coopératives jeunesse de service, les initia­tives solidaires, la contribution à des projets d’aménagement, les bourses aux projets collec­tifs, voire la gestion de budgets participatifs.

Mais quid de l’engagement politique conflictuel ? Une troisième modalité d’action me paraît largement moins développée dans les référentiels de l’éducation populaire aujourd’hui.

Cette figure relève d’une citoyenneté plus proprement politique, dans laquelle l’équi­libre de la vie sociale repose moins sur un consensus et des valeurs partagées, que sur un agencement construit et validé démocratiquement, entre les multiples clivages, intérêts et orientations portées par les différents groupes sociaux. Le sujet de l’action publique n’est plus l’individu isolé, mais le groupe ou le collectif définis par une position et des intérêts partagés dans l’espace en ten­sion des rapports sociaux.

Les jeunes pourraient incar­ner un tel collectif en tant que « communauté généra­tionnelle », comme dans les parlements libres de jeunes, l’institution de collèges jeunes dans les conseils d’adminis­tration, les syndicats étudiants etc, mais force est de constater que cet art de la négociation, du débat et du compromis, et finalement cette démarche d’émancipation par la poli­tique sont un peu sortis de notre champ de vision.

Ma conclusion est que les travailleurs de jeunesse sont d’une importance capitale dans notre so­ciété, mais qu’ils ne peuvent plus s’en tenir à l’accompagnement social, ou à l’éduca­tion à la coopération, et devraient s’enga­ger par tous les moyens possibles pour per­mettre aux compétences démocratiques des jeunes de s’exprimer plus fortement dans notre société, et aux générations installées, administrés et élus, d’entendre ce que les jeunes ont à nous dire pour demain, même si c’est désagréable à entendre. Au-delà du soutien aux jeunes, et de leur éducation par ceux qui savent, acceptons d’apprendre de ceux qui vivront le monde de demain et de critiquer et modifier nos fonctionnements bien installés.

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